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Daniel de Montplaisir revient sur RoyautéNews pour notre plus grand plaisir après la parution de sa biographie :
Lamartine ; Un poète en politique, aux Éditions Tallandier (à consulter ici). Pour sa biographie, on se reportera à son Interview précédente, en cliquant ici.
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L'Interview de Daniel de Montplaisir sur RoyautéNews
RoyautéNews : Comment avez-vous arrêté votre attention sur ce personnage, pour composer une biographie moderne et approfondie ?
Daniel de Montplaisir : - Pour deux raisons assez personnelles : à l’âge de huit ans, la découverte de L’Automne provoqua ma toute première émotion poétique ; puis, les hasards de la vie remirent à six ou sept reprises Lamartine sur ma route, durant mes études et à l’Assemblée nationale qu’il a durablement marquée.
Et pour deux raisons plus objectives : un collègue, professeur d’histoire de la littérature aux États-Unis, me fit remarquer qu’il n’existait aujourd’hui en librairie aucune biographie rééditée de celui que les Américains considèrent comme l’un des plus grands poètes de l’histoire mondiale et comme un homme d’État exceptionnel : il fallait donc réparer cela.
De surcroît Lamartine a conservé la réputation d’un royaliste converti à la république, or, vers la fin de sa vie, il est revenu au légitimisme : cela aussi il fallait le rappeler car on l’a souvent perdu de vue.
Enfin, on a trop oublié ses contributions à l’évolution de la société, un seul exemple : l’abolition de l’esclavage outre mer, qu’on lui doit bien plus qu’à Victor Schœlcher.
RoyautéNews : - La vie de l'Assemblée, du temps de Lamartine, était-elle si tumultueuse que dans l'ordinaire de la Ve République (que vous connaissez bien) ?
Daniel de Montplaisir : - Elle l’était bien davantage. Le palais Bourbon résonnait alors de discours enflammés, on était encore loin du tryptique « liturgie, litanie, léthargie » qui s’est peu à peu instauré sous la IIIe république. On discutait des textes de lois en profondeur, les partis politiques n’existaient pas, du moins pas de façon structuré, non plus que la discipline de vote.
La notion de « godillots » n’était pas encore apparue. Les députés, et les ministres, écrivaient eux-mêmes leurs discours et faisaient assaut d’érudition. Beaucoup s’exprimaient sans notes : une autre époque. Gardons-nous quand même d’angélisme : les groupes d’intérêt étaient déjà puissants et, particulièrement sous la monarchie de juillet, actionnaient bien des députés comme leurs marionnettes. Certains élus aussi ne connaissaient que « la voix de son maître. » Ce qu’il y avait de plus fascinant chez Lamartine, outre son talent oratoire et ses convictions, c’était sa farouche indépendance, et à tous égards. Chaque fois qu’il intervenait à la Chambre, les tribunes du public étaient bondées, il y avait beaucoup de dames ...
RoyautéNews : - Cette question sera plutôt un clin d'œil... Vous dites que Lamartine "a incité à une réduction des inégalités de fortune". Cette idée n'est-elle pas un peu influencée, dans la manière de l'exprimer, par les habitudes d'aujourd'hui ?
Daniel de Montplaisir : - Oui, je reconnais que le terme est quelque peu anachronique. Lamartine demeurait surtout soucieux de venir au secours des plus pauvres, selon une conception classique, et éminemment chrétienne, de la charité. Mais il fut aussi parmi les premiers à comprendre que cela ne suffisait pas et qu’on ne pourrait réduire la misère sans s’attaquer, politiquement, aux inégalités. Il figure indiscutablement parmi les pionniers – autre anachronisme - ce que qu’on appellera plus tard le catholicisme social.
RoyautéNews : - A un moment donné, Lamartine "dénonce le caractère policier du régime" : rien n'a changé ... Sans aller jusqu'à dire que le poète aurait été Gilet Jaune par exemple, peut-être, au lieu de rechercher comme on le fait à chaque changement de système politique, faudrait-il plutôt chercher quels vices, quelles pratiques, se perpétuent au fil des siècles, et qui sont plus solides que la forme apparente choisie ou non choisie d'ailleurs ?
Daniel de Montplaisir : - Il est vrai que chaque révolution se dénoue souvent par un regain de conservatisme. Lamartine en était conscient et reprochait beaucoup à la monarchie de juillet de confisquer des libertés, spécialement celle de la presse, dont la défense était pourtant à l’origine de son accession au pouvoir. C’est pourquoi, vers la fin de sa vie, il estima que la forme du régime – république, monarchie ou empire – importait moins que la politique menée. Il réalisa aussi que, finalement, ces libertés qui lui tenaient tant à cœur, s’épanouiraient le mieux dans le cadre de la monarchie légitime : les révolutions font couler du sang pour rien.
RoyautéNews : - Vers le début de votre livre, vous effectuez une synthèse de la Poésie depuis l'ancien temps, depuis la fin du 18ème siècle, jusqu'à la période de René Char, étonnante par sa concision totale tout en donnant l'essentiel. Mais... Vigny, là-dedans ?
Daniel de Montplaisir : - Alfred de Vigny, ainsi que l’autre Alfred, Musset, apparaissent plusieurs fois dans l’ouvrage, qui n’est pas une histoire de la poésie. J’ai seulement voulu situer le « moment Lamartine », expliquer son formidable succès puis son déclin. Lui-même ne s’est jamais reconnu d’aucune école, ni romantique ni autre, et je crois d’ailleurs que cette notion est assez vaine en poésie, qui est un art tout d’individualité.
RoyautéNews : - Le Poète en politique... pour le dire au présent, cette pourrait-il exister à nouveau ? Certes des hommes politiques ont aimé la Poésie ou la littérature, mais imagine-t-on un Poète descendant dans l'arène aujourd'hui en France (car en Tchécoslovaquie ce fut le cas voici quelques années) en cette ère si prétentieuse ?
Daniel de Montplaisir : - Notre époque, a écrit Jean-René Van der Plaetsen, « porte aux nues les braillards et s’extasie devant l’immodestie ». Je dirais même l’inculte nombrilisme. Il est certain qu’un Lamartine y trouverait difficilement sa place et qu’il ne ressemble en rien à nos actuels dirigeants dévorés par la médiocrité ambiante. Mais n’oublions pas que lui aussi fut rejeté par les Français, qui lui préférèrent Louis-Napoléon Bonaparte, avec la réussite finale que l’on sait. Alors, restons optimiste avec un autre poète, Paul Valéry : « patience dans l’azur, chaque atome de silence est la promesse d’un fruit mûr. »
RoyautéNews : - Vous indiquez que Lamartine aurait inventé le concept de la société libérale avancée, (vous parlez du libéralisme avancé, équivalent). Il a résisté aux sirènes du monarque bourgeois. Est-il donc un de ces « génies perdus », auto-sacrifié sur l'autel de sa sincérité et de sa pureté d'âme, et qui aura fondé l'avenir comme votre ouvrage le démontre ?
Daniel de Montplaisir : - Il a rêvé, en décembre 1833 lorsqu’il vient prendre son siège de député d’un « parti de royalisme avancé et impartial », non sans quelque naïveté, il faut bien le dire. Il en sera quasiment le seul membre, même s’il compte des amis comme Royer-Collard. Sa solitude, cœur de sa poésie, se retrouve dans son isolement politique. D’autant plus méritoire qu’il est alors bien difficile de résister aux sirènes d’un gouvernement qui fonctionne essentiellement par clientélisme et par menace du désordre, dont il se croit le bouclier des nantis, ainsi que par le système des candidats officiels.
On ne peut cependant parler de sacrifice : Lamartine croit que l’avenir appartient à ses convictions, il les soutient donc sans faillir et espère bien les voir triompher un jour. Il n’a pas le culte du martyr. Ses échecs ultérieurs le font réagir un peu comme le fera le général de Gaulle : « on saura plus tard que j’avais raison ». Et c’est vrai en très grande partie.
RoyautéNews : - ... Mais puisqu'il se situe tout à l'inverse du courant opportuniste, appartient-il à notre Panthéon du royalisme traditionnel ? Est-il un héros avancé de la royauté légitime, affrontant la houle des nécessités sociales, et pas du tout «un transfuge » ?
Daniel de Montplaisir : - Traditionnel non car, à la différence, par exemple, d’un Pierre-Antoine Berryer ou d’un Robert Bouhier de l’Écluse, ou bien sûr d’un Chateaubriand, fidèles et obstinés partisans de l’avènement d’Henri V, Lamartine s’est désintéressé de l’héritier du trône en exil. Il a d’abord cru possible de faire évoluer positivement la monarchie de juillet puis il a donné sa chance à la république ; en revanche il a refusé toute compromission avec le second Empire, malgré les nombreuses perches que lui a tendues Napoléon III.
Sa reconversion tardive à la légitimité était sincère mais plus théorique que pratique : il n’a jamais cherché à entrer en contact avec le comte de Chambord, alors que celui-ci envisageait, en cas de troisième Restauration, de faire une place à Lamartine. Qu’ils ne se soient jamais rencontrés est vraiment dommage : leurs idées étaient souvent proches, par exemples sur le suffrage universel, les libertés publiques, l’égalité des droits et des chances ou la question sociale. ais lorsque Chambord se trouve enfin à deux pas du trône, Lamartine est mort depuis deux ans : ils ont pâti d’une mauvaise concordance des temps.
RoyautéNews : Merci !