Nous recevons avec plaisir aujourd'hui l'écrivain et spécialiste des religions Yves Bomati, afin de faire un point concentré sur la situation actuelle de l'Iran, en un moment riche d'évolutions possibles.
Yves Bomati est diplômé de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, et auteur des plusieurs livres consacrés à l'Iran et à son histoire, co-écrits avec Houchang Nahavandi, ancien recteur des universités de Shiraz et de Téhéran et ancien ministre du Shah.
Il a signé avec lui trois ouvrages d'utilité majeure pour comprendre ce pays du Moyen-Orient : Mohammad Réza Pahlavi, biographie du Shah d'Iran ; Les grandes figures de l'Iran; et Iran, Une histoire de 4000 ans (clic), publiés chez Perrin.
RoyautéNews :
- Comment s'est développé le complexe iranien, dans sa volonté manifestée ces dernières années ?
Yves Bomati : La République islamique d’Iran tente de recouvrer la position d’une puissance dominante dans la région par des vecteurs multiples. Le premier est bien sûr le religieux, l’Iran étant toujours une théocratie autoritaire sous des apparences parfois trompeuses. Sous ce couvert, elle a mis en place des milices chiites en Irak, en Syrie et au Liban qui essaiment son idéologie en même qu’elles élargissent ses champs d’action, ce que les Occidentaux appellent de façon quelque peu emphatique « l’arc chiite ». Elle profite également du soutien d’une partie des séparatistes yéménites qui font obstacle à une autre puissance théocratique, influente car soutenue entre autres par les Etats-Unis, l’Arabie saoudite dont les visées sont également hégémoniques.
- L'ère du Shah a-t-elle joué, et joue-t-elle toujours un rôle dans le désir d'affirmation de ce pays ?
- Oui, bien sûr, les positions du dernier shah, Mohammad Reza Pahlavi, ne se sont pas éteintes avec la révolution islamique de 1979. L’Iran d’aujourd’hui, comme énoncé ci-dessus, tient toujours à compter parmi les acteurs majeurs qui influent sur les politiques régionales, ce qui d’ailleurs ne peut étonner si l’on considère sa fastueuse histoire plurimillénaire. Les moyens que la République islamique déploie pour y parvenir sont là-aussi multiples. Les pasdarans, ces gardiens de la Révolution et soutiens directs du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, veillent au grain par leur puissance quasi baronniale et leurs enrichissements économiques - ils détiennent près de 30% des richesses iraniennes. Ils n’éclipsent cependant pas l’armée régulière dont l’influence reste importante dans la mesure où elle régit le service militaire national, forme le contingent et dispose des forces armées en tout genre (blindés, atouts logistiques, etc.). De ce fait, aussi bien à l’interne qu’à l’externe, la République islamique peut prétendre à un rôle international d’importance.
- Quel Orient, veut aujourd'hui l'Iran, selon vous, et quel est celui qu'il voudrait tracer ?
- La réponse est difficile à apporter et ne peut être que personnelle. Il me semble que l’Iran d’aujourd’hui souhaite étendre son influence sur le monde oriental, en développant un rôle actif de leadership. C’est cette position plutôt qu’une extension territoriale qui me semble être un de ses aiguillons principaux. A cela s’ajoute la question de gouvernance voire de domination du golfe Persique, pomme de discorde entre tous les Etats riverains, question récurrente depuis le milieu du XXe siècle qui est loin d’être résolue. Les bases américaines qui y stationnent ainsi que les appétits de l’Arabie saoudite ont changé cependant aujourd’hui la donne d’une époque où le shah d’Iran était considéré comme le « gendarme du golfe ».
- La question de la bombe atomique, une affaire complexe... qui rend périlleuses et instables les espérances de pacification de toute la région...
- Tout laisse à penser que les Iraniens sont en train de fabriquer la bombe atomique. D’après certaines sources non officielles bien sûr, ils auraient déjà réussi à enrichir l’uranium jusqu’à un degré de dangerosité considérable. Ces mêmes sources pensent que l’opération ultime se terminerait dans les 12 mois à venir, avant les élections américaines.
Souhaitent-ils garantir leurs choix de posséder bientôt la bombe atomique par les multiples prises d’otages occidentaux dont ils sont les acteurs ? On le dit aussi…
- Quels sont les rapports avec le Yémen dans les conflits actuels ?
- Le soutien de la République islamique aux Houtis yéménites est une évidence. Dans le courants des nombreuses péripéties des guerres intestines qui ont secoué le Yémen, les Houtis ont contrôlé la capitale yéménite Sanaa, ce qui dresse de façon plus violente encore les forces chiites, pourtant minoritaires contre les forces sunnites, vieux conflit dans tout le Moyen-Orient, les unes soutenues par l’Iran, les autres par l’Arabie saoudite et ses alliés de la « coalition ». Ce conflit, sous couvert de religions divergentes, ne saurait cependant masquer ses vraies racines ancrées dans un autre conflit plus économique qu’idéologique, celui de la domination de la région par l’Arabie saoudite ou l’Iran.
- L'Iran veut-il être le leader du Moyen-Orient ou seulement veut il sanctuariser son territoire, comme le pense Firouzeh Nahavandi (RTBF, juin 2019 : Cela permettrait surtout à l’Iran de sanctuariser son territoire. Si l’Iran possède l’arme nucléaire, il devient intouchable ») ?
- Je rejoins Ferouzeh Nahavandi, la fille de mon coauteur, Houchang Nahavandi, sur cette idée de sanctuarisation du territoire iranien, à géométrie si variable depuis Cyrus II le Grand au VIe siècle av. J.-C. Cette sanctuarisation étant sans doute le premier objectif du gouvernement, le projet additionnel de vouloir aussi assumer un rôle futur de leadership dans le Proche et Moyen-Orient n’est pas incompatible avec cette ambition.
L’arme atomique rendrait en outre bien sûr intouchable le pays, ce qui ne veut pas dire que son gouvernement théocratique le soit ad vitam aeternam, comme nous l’enseignent les leçons de l’Histoire. Tout se jouera sans doute sur ce point dans les mois à venir où deux élections majeures se dérouleront. La première, les législatives, permettra à l’opinion de s’exprimer, ces élections bien que pas totalement libres n’étant pas non plus fermées. La seconde sera dans moins de deux ans la désignation du président de la République… et à ce moment, la donne risque d’être changée, le Guide Suprême étant fort malade actuellement et les appétits du Général Soleimani, commandant de la force d’élite Al-Qods (Al-Ghods) du corps des Gardiens de la révolution islamique pouvant à ce moment trouver un nouveau champ d’action, propice éventuellement à une prise de pouvoir.
Sans doute aussi faudra-t-il compter avec un nouveau contexte où les forces internes d’une population brimée par une politique austère et répressive trouveront un espace où faire voler les schémas établis.
RoyautéNews : Merci !